La création : un accueil contrasté
Le 3 mars 1875, la première représentation suscite la surprise dans la salle Favart. Le public découvre un livret considéré comme audacieux, une écriture musicale dense et un portrait de femme affirmant sa liberté sans compromis.
Ces choix artistiques bousculent les attentes du public parisien. Georges Bizet disparaît quelques mois plus tard, à l’âge de trente-six ans, sans connaître la diffusion internationale que Carmen connaîtra ensuite. L’histoire de l’œuvre débute dans un climat d’incertitude, éloigné de la reconnaissance qui s’installera au fil des décennies.
Une trajectoire internationale
Dès 1875, Carmen est reprise à Vienne dans une version adaptée par Ernest Guiraud, qui substitue des récitatifs aux dialogues parlés. Cette étape marque un tournant : l’œuvre circule à l’étranger, rencontre de nouveaux publics et s’inscrit durablement dans les grandes maisons d’opéra.
Lorsque Carmen revient à l’Opéra-Comique huit ans après sa création, elle y trouve un ancrage solide, avec plus de 2 900 représentations avant son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. De Séville à New York en passant par Paris, l’itinéraire du personnage continue d’interroger et de séduire.
Regards d’artistes et de direction
En 2023, lors de la reprise de Carmen sur la scène de la salle Favart, plusieurs artistes et collaborateurs ont partagé leur lecture de l’œuvre et les raisons de sa présence constante sur les scènes internationales.
Cette réflexion nourrit la question centrale : qu’est-ce qui fait de Carmen l’un des opéras les plus représentés aujourd’hui ?
L’entretien avec le directeur de l’Opéra-Comique et chef d'orchestre de cette production, disponible ici, revient sur l’héritage de la création de 1875 et sur la manière dont l’œuvre continue d’accompagner l’identité de la maison
Rencontre avec Louis Langrée - Carmen
Transcription textuelle
« Je pense que dans ma vie, j'ai déjà dirigé de belles représentations de Carmen,
mais je ne sais pas exactement pourquoi.
C'est un peu comme du savon dans la baignoire,
c'est une œuvre qui vous échappe.
Carmen est une œuvre assez particulière...
Avant même d'ouvrir la partition, vous connaissez l'œuvre déjà par cœur.
Il y a plein de gens qui n'ont jamais été à l'opéra
et qui connaissent Carmen.
Donc il faut se débarrasser de... De cette espèce de tradition.
Et puis partir de notre bible, c'est-à-dire la partition.
Alors on va donner cette œuvre à l'Opéra-Comique,
là où Carmen a été créée
et donc, nous devons le présenter dans sa version opéra-comique,
c'est-à-dire avec des textes et des dialogues parlés
qui vont s'insérer entre les airs chantés ou les ensembles.
Il y a une autre version mais qui n'a pas été composée par Bizet,
qui a été écrite après sa mort,
où les dialogues parlés ont été remplacés par des récits chantés.
Alors quelle version après cela ?
Bizet avait déjà beaucoup coupé ou transformé
donc il faut faire un choix... On a toute cette palette de propositions
et, avec les chanteurs et chanteuses, avec le metteur en scène,
On va... Chercher la version qui sera la plus juste
par rapport à cette production et par rapport à nos chanteurs.
Ce qui est extraordinaire dans Carmen, c'est que c'est un chef-d'œuvre d'opéra.
C’est de la musique de théâtre.
Il n'y a pas une mesure, il n'y a pas une note qui n'ait pas une relation
avec la force, la puissance ou la subtilité théâtrale.
Il y a cette palette de couleurs extraordinaires,
Alors évidemment avec des instruments d'époque,
de l'époque romantique.
Il y a une transparence, une vivacité, parfois une verdeur
mais aussi une opulence, un équilibre parfait entre la clarté et la densité,
donc il ne s'agit pas de faire de la musique,
il s'agit de faire en sorte que chaque trémolo par exemple,
soit un moment d'angoisse soit un moment de...
De stupéfaction, d'effervescence, de rage ou de timidité,
enfin de tout ce qui peut nous donner la chair de poule.
Et donc c'est une joie de musicien, une joie de musicien de théâtre.
Je suis très heureux et très fier de partager la direction de cette production
avec Sora Elisabeth Lee,
jeune cheffe d'orchestre extrêmement talentueuse.
L'Opéra-Comique a toujours été un lieu de transmission
et un lieu de révélation.
C'est le lieu où l'on donne sa chance à de jeunes chanteuses, chanteurs,
chefs d'orchestre, metteurs en scène...
On connait évidemment les chanteurs qui ont été révélés à l'Opéra-Comique,
Roberto Alagna avec la production de Roméo et Juliette,
Natalie Dessay avec Lakmé,
ou Sabine Devieilhe aussi avec Lakmé etc...
Et donc, j'aime continuer cette histoire.
J'ai atteint l'âge où la transmission est une partie essentielle de mon activité
et je suis profondément heureux que Sora Elisabeth Lee
puisse faire ses débuts à l'Opéra-Comique, avec Carmen. »
Extraits du spectacle Carmen (Opéra-Comique, 2023)
Transcription textuelle
Une musique rythmée et jazzy, aux accents comiques et légèrement inquiétants, accompagne une série d’images du spectacle "La Petite Boutique des horreurs". La bande-son suggère le chaos et l’humour noir qui caractérisent cette œuvre. Aucun dialogue n’est présent.
Archives et ressources : 150 ans d’un opéra au cœur de Favart
À l’occasion de cet anniversaire, la Bibliothèque nationale de France publie un dossier consacré à l’histoire de Carmen et aux archives qui documentent sa création.
Retrouvez les événements recensés dans Dezede
Le documentaire « Carmen, naissance d'un mythe »
Revivez la naissance de cette œuvre mythique dans un documentaire de Jean Rousselot, et (re)découvrez la production de 2023 à l’Opéra-Comique, disponible sur ARTE jusqu’au 1er septembre 2025.
De la genèse de ce chef-d’œuvre à ses relectures modernes, le documentaire « Carmen, naissance d’un mythe », réalisé par Jean Rousselot, nous plonge dans une aventure artistique et humaine passionnante, mêlant images d’archives, témoignages de musiciens, chanteurs et chercheurs, et une réflexion vibrante sur la figure de Carmen, devenue icône féministe et universelle.
Avec les interventions de Louis Langrée, Elina Garanca, Roberto Alagna et la sociologue Margot Giacinti.
Disponible jusqu'au 1er février 2026 sur ARTE.