Les interprètes du rôle de Carmen à l’Opéra-Comique (1875-1959)

Par Dina Ioualalen

fr

« Carmen, la Carmencita, comme tu voudras. » (Carmen, II, 2)

En 1873, l’idée d’une Carmen par Georges Bizet suscite un rejet de la part du directeur de l’Opéra-Comique Adolphe de Leuven : « Carmen !... La Carmen de Mérimée !... Est-ce qu’elle n’est pas assassinée par son amant ?... Et ce milieu de voleurs, de bohémiennes, de cigarières !... À l’Opéra-Comique !... le théâtre des familles !... le théâtre des entrevues de mariage !... Nous avons, tous les soirs, cinq ou six loges louées pour ces entrevues… Vous allez mettre notre public en fuite… c’est impossible ! » (parole rapportée par Ludovic Halévy, « La millième de Carmen », Le Théâtre, janvier 1905). Absente de la nouvelle de Mérimée, Micaëla, personnage de « pur opéra-comique », « jeune fille très innocente » et « très chaste » devient dans l’œuvre de Bizet la figure de contraste nécessaire pour atténuer l’ « abominable rôle » de Carmen (Blaze de Bury, Revue de Deux Mondes, 15 mars 1875). Par sa théâtralité inédite, celui-ci semble échapper aux conventions d’emploi et de tessiture.

Dans la troupe de l’Opéra-Comique, les chanteurs étaient désignés à un emploi défini, « première chanteuse, chanteuse légère, falcon, dugazon, galli-marié » en plus des classifications traditionnelles de tessitures (soprano, ténor). Si Lucienne Bréval, Geneviève Vix et Marthe Chenal, qui figuraient sur le registre des sopranos de l’Opéra-Comique pour la saison 1910-1911, se sont emparées du rôle de la Carmencita, comme les mezzos de la troupe Marie Charbonnel et Alice Raveau, c’est qu’elles possédaient un « soprano étendu et puissant » qui permettait de « passer outre à la tyrannie des emplois vocaux ». Carmen est ainsi un des rares cas de personnages interprétés tant par des « soprani légers » que par des « contralti graves » (J. Prudhomme, Comœdia, 28 mai 1912).

Célestine Galli-Marié (1837-1905)

	<p>Célestine Galli-Marié par Nadar, env. 1880 © Rijksmuseum</p>

Célestine Galli-Marié par Nadar, env. 1880 © Rijksmuseum

Créatrice du rôle-titre de Mignon (Ambroise Thomas), elle accepte de créer celui de Carmen que la soprano Marie Roze, qui interpréta Manon et Marguerite, refusa, le trouvant trop « scabreux ». Pour l’écriture de ce rôle, elle demande au directeur de l’Opéra-Comique Camille du Locle que Bizet « se base […] sur la tessiture de Marguerite » pour l’écriture du rôle de Carmen et non pas sur celle de Mignon, « trop terre à terre » (Lettre du 18 décembre 1873). Elle fut « l’actrice désignée pour le rôle de Carmen ; nulle autre n’y aurait apporté une plus adorable originalité, une verve plus remarquable » (Vert-vert, 8 mars 1875) et se distinguait par son « talent original », « sa voix étrange et énergique » et son « magnifique instinct dramatique » (La Gazette, 8 mars 1875).

 « Je la revois à son entrée sur la scène, coquette, provocante et railleuse, la figure expressive, les yeux effrontés avec la fleur aux lèvres, montrer du premier coup la nature du personnage. » (H. Bauer, L’Écho de Paris, 7 mai 1887)

« Elle a photographié les gestes, la mine, le costume des señoras de carrefour ! Seul M. Manet est capable de lui en faire des compliments ! Ne tombons point si bas… » (D. Bernard, L’Union, 8 mars 1875)

Adèle Isaac (1854-1915)

	<p>Adèle Isaac par Charles Reutlinger, XIXe siècle © Musée Carnavalet</p>

Adèle Isaac par Charles Reutlinger, XIXe siècle © Musée Carnavalet

Elle crée les rôles de Stella, Olympia et Antonia des Contes d’Hoffmann. Soprano léger, elle incarne, pour la première reprise de l’œuvre de Bizet à l’Opéra-Comique en avril 1883, une Carmen d’une « nouvelle manière » (Le Figaro, 22 avril 1883) : « Mme Isaac ne joue pas le rôle de la Zingara avec la même sauvagerie effrontée que Mme Galli-Marié mais elle met dans la composition de ce personnage à la fois séduisant et perfide plus de douceur et de coquetterie. De plus, elle chante avec sa belle voix, pleine d’éclat et de réelle puissance les admirables morceaux dont tout le rôle est parsemé. » (Vert-vert, 23 avril 1883). Léon Carvalho, alors directeur de la salle Favart, jugeait Galli-Marié trop réaliste et lui avait préféré cette chanteuse au timbre plus léger, pour « édulcorer les passages de la pièce qu’il trouvait immoraux » (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950) et effacer l’effet de « louve dans la bergerie » (Le Moniteur universel, 8 mars 1875) qu’avait produit Carmen à sa création. Après quelques mois, il rendit finalement le rôle à Célestine Galli-Marié, traitant ainsi Carmen « avec les égards dus à un chef-d’œuvre » (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950).

Emma Calvé (1858-1942)

	<p>Collection Opéra-Comique, BnF</p>

Collection Opéra-Comique, BnF

Amie de la veuve de Bizet et soprano de la troupe de l’Opéra-Comique, Emma Calvé s’est illustrée dans les rôles d’Ophélie, de Marguerite, de Salomé (Hérodiade), de Santuzza, de Papagena, de Leïla ou encore de la Comtesse. Après l’incendie de l’Opéra-Comique en 1887, elle est engagée par la Scala de Milan et l’Opéra de Rome où elle crée le rôle de Suzel (L’Amico Fritz), puis revient à l’Opéra-Comique pour y chanter le rôle de Carmen en 1892. Elle est selon Ludovic Halévy, avec Célestine Galli-Marié, l’une des « deux Carmen véritables » (Gil Blas, 19 mai 1904). Elle choisit de quitter la scène après la 1000e représentation de Carmen à l’Opéra-Comique, le 23 décembre 1904.

Charlotte Wyns (1868-1922)

Elle chante les rôles de Charlotte (Werther), Mignon et Dalila et est Divonne aux côtés d’Emma Calvé lors de la création de Sapho (Massenet). Dans le rôle-titre de Carmen en 1894, sa voix était « puissante, superbement timbrée », son jeu « vrai » et « dédaigneux de l’exagération » et ses allures « onduleuses et félines » en faisaient une « gitana, insouciante et impulsive, qui ne prétend pas enchaîner son indépendance » (Le Guetteur, 22 novembre 1910).

Georgette Leblanc (1869-1941)

	<p>Collection Opéra-Comique, BnF</p>

Collection Opéra-Comique, BnF

Sœur du romancier Maurice Leblanc et compagne de Maurice Maeterlinck, forte personnalité, Leblanc se distingue par son jeu vériste lorsqu’elle chante Carmen, à Paris comme à Bruxelles. Elle inaugure la troisième salle Favart en 1898 dans la nouvelle mise en scène signée du directeur Albert Carré, qui tient sur la future star de cinéma des propos peu amènes :

« Mme Leblanc avait voulu faire comme moi et avait, de son côté, également été en Espagne. Elle en avait rapporté aussi des étoffes et des bijoux et avait tenu à les porter, tous ; ce qui faisait beaucoup. Sa coiffure et son maquillage, le déhanchement qu’elle avait adopté et qu’elle disait inspiré du meneo gitan firent de sa Carmen une fille de barrière un peu caricaturale. Par ailleurs, elle m’avait dit : « Il paraît que Galli-Marié mettait beaucoup de fantaisie au deuxième acte. Je vais en mettre. » Et, prenant de fausses oranges dans les paniers des figurants, elle se mit à les jeter en tous sens, sans épargner ni le décor, ni ses partenaires, ni même le public qui en reçut quelques-unes aussi. Mme Leblanc mit fin à ce jeu de scène lorsque l’une d’elles lui revint on ne sait d’où, l’atteignant dans la partie d’elle-même qui s’activait le plus au roulement du meneo. » (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950)

Écouter Georgette Leblanc

Marie Delna (1875-1932)

	<p>Marie Delna, Carmen, publié dans <em>Musica </em>n°87, décembre 1909 © Bibliothèque des Arts décoratifs</p>

Marie Delna, Carmen, publié dans Musica n°87, décembre 1909 © Bibliothèque des Arts décoratifs

À 18 ans, Marie Delna a créé le rôle de Charlotte (Werther) à l’Opéra-Comique. En 1900, elle incarne une Carmen « point absolument et spécialement espagnole », mais plutôt « essentiellement et superbement » du « peuple » avec une « voix de velours et d’or, une voix franche, tantôt douce, tantôt éclatante, tantôt grave, tantôt légère, tantôt tendre, tantôt furieuse ; elle le joue avec une justesse d’intonation surprenante ; elle le varie sans effort, s’inspirant de la seule vérité ; elle l’agrandit sans peine, le campant d’instinct dans la vie même » (Le Monde artiste, 30 septembre 1900). En 1894, Verdi la déclare « l’unique » Quickly de son Falstaff, et Massenet ne veut pour son Werther d’autre Charlotte qu’elle (Albert Carré, Souvenirs de théâtre, 1950).

Jeanne Marié de l’Isle (1872-1926)

	<p>Jeanne Marié de l’Isle en Carmen © Bibliothèque du conservatoire de Genève</p>

Jeanne Marié de l’Isle en Carmen © Bibliothèque du conservatoire de Genève

Elle chante à l’Opéra-Comique Serpina (La serva padrona), la Sorcière (Hänsel et Gretel), Mallika (Lakmé), Santuzza (Cavalleria rusticana) ou encore Charlotte (Werther). Nièce de Célestine Galli-Marié, elle ancre son interprétation dans Mérimée, Halévy, Meilhac et Bizet. On revient avec elle « non seulement à la conception primitive du personnage lyrique, mais à l’emploi vocal auquel il se rattache directement : un mezzo-soprano assez étendu de demi-caractère, souple et chaudement coloré, sans ampleur excessive. » Dans un entretien accordé à Gabriel Bernard, elle nous livre ses clés d’interprétation du rôle qu’elle chante à partir de 1902 :

« Pour interpréter Carmen, l’artiste doit s’inspirer :

1° De l’eau-forte vigoureuse de Mérimée, « les cheveux à reflets bleus comme l’aile d’un corbeau : les yeux en coulisse avec une expression vigoureuse et farouche, une fleur de cassie dans le coin de la bouche, les lèvres un peu fortes et laissant voir des dents plus blanches que des amandes sous leur peau, effrontée, elle s’avançait en se balançant sur ses hanches comme une pouliche du haras de Cordoue » ;

2° Du dessin de Meilhac et Halévy, net et précis dans ses lignes, avec ses attitudes discrètement adoucies et les traits moins accusés, habileté d’auteurs consommés dans leur art qui consiste à laisser deviner la vérité conventionnelle du théâtre et à permettre au compositeur et à l’interprète de traduire à leur gré et de compléter ces deux vérités ;

3° Enfin et surtout du portrait – des portraits devrais-je dire – où la figure de Carmen a été peinte par Bizet sous les aspects les plus variés tout en lui conservant son implacable caractère de passion audacieuse et fière. 

[…] Il semble que chacune des phrases musicales de ce rôle indique le geste correspondant. Et vous remarquerez que si un alanguissement momentané s’y manifeste, il est toujours corrigé par un ressaut d’énergie. »

(Jeanne Marié de l’Isle, citée dans Le Public, 21 février 1905, entretien avec Gabriel Bernard, « Carmens et Carmen », La Revue théâtrale)

 

Écouter Jeanne-Marie de l'Isle

Alice Cortez

	<p>Collection Opéra-Comique, BnF</p>

Collection Opéra-Comique, BnF

À la suite de son premier prix d’opéra-comique obtenu au Conservatoire, pour lequel elle chante une scène du premier acte de Carmen, Alice Cortez est engagée par Albert Carré pour tenir le rôle-titre en 1903 : « Le naturel et l’originalité dont elle avait fait preuve dans Carmen nous promettaient une seconde Galli-Marié. Aussi, M. Albert Carré s’était-il bien gardé de laisser échapper cette future étoile. Après l’avoir montrée dans de moindres rôles, il l’a produite, cette semaine, dans celui qui lui avait valu son premier triomphe. Mlle Cortez n’a point trompé les belles espérances qu’on avait mises en elle : elle a été, comme chanteuse et comme comédien, une Carmen réellement curieuse. Bien « en scène » et toujours vibrante artiste, elle a su donner, sans vulgarité aucune, un relief très caractéristique à ce rôle si complexe de câline et intrépide amoureuse. » (Le Monde artiste, 27 septembre 1903)

Cécile Thévenet (1872-1956)

	<p>Collection Opéra-Comique, BnF</p>

Collection Opéra-Comique, BnF

À l’Opéra-Comique, Cécile Thévenet crée les rôles de la Nourrice (Ariane et Barbe Bleue), d’une vieille Dame (Céleste), du Clown (Mme Barbazan), de Catherine (Le Chemineau), une Chimère (Julien), une Lavandière (Lépreuse), Euryclée (Pénélope). Elle chante le rôle de Carmen pour la première fois le 14 octobre 1906, sous les acclamations du public : « J’ai rarement vu un public dans un semblable d’enthousiasme. La colonie étrangère qui, remplissant l’Opéra-Comique, en fait le théâtre le plus élégant des cinq parties du monde, s’emballait à pousser des « Encore ! », des « Wonderful », des « Colossal ! », des « Bravo ! » frénétiques. Et parmi les spectateurs parisiens, le Monsieur qui a vu Galli-Marié en perdait lui-même sa mémoire sacrée pour n’acclamer que la nouvelle Carmen. Jamais plus belle voix, chant plus habilement généreux n’ont été au service d’un jeu vainqueur. Avec Mlle Thévenet, toute la perversité, la gentillesse, le tragique, la flemme de la fille de Mérimée et des Espagnes apparaissent et brûlent. » (Comœdia, 25 décembre 1910)

Geneviève Vix (1879-1939)

	<p>Geneviève Vix en Carmen, publié dans <em>Le Théâtre</em>, novembre 1908 © Bibliothèque du conservatoire de Genève</p>

Geneviève Vix en Carmen, publié dans Le Théâtre, novembre 1908 © Bibliothèque du conservatoire de Genève

Créatrice du rôle de Concepción (L’Heure espagnole), Geneviève Vix incarne aussi le Prince charmant (Cendrillon), Santuzza, Antonia (Les Contes d’Hoffmann), Violetta, Elvira, Manon, Charlotte, Tosca et Carmen. En mai 1910, elle joua Manon en matinée et Carmen en soirée : « C’est une Carmencita très personnelle et fort impressionnante, extrêmement vive et mobile. Sans la moindre apparence de fatigue, et au milieu des applaudissements chaleureux du public, Mlle Vix chanta et joua l’œuvre de Bizet tout comme elle l’aurait fait après plusieurs jours de repos. » (Comœdia, 23 mai 1910).

 

Le 2 janvier 1909, Charles de Gaulle, alors âgé de 18 ans, se rend secrètement à l’Opéra-Comique pour voir le drame que Marie Roze qualifiait de « scabreux », interprété ici par Geneviève Vix, et confie à son cousin Jean dans une lettre : « Notre cousin Louis et moi avons été entendre Carmen à l’Opéra-Comique : il va sans dire que le plus rigoureux silence t’est demandé devant Bonne-Maman. » Quarante ans plus tard, il inaugure l’entrée de Carmen au répertoire de l’Opéra de Paris.

Lucienne Bréval (1869-1935)

	<p>Lucienne Bréval, publié dans <em>Musica </em>n°7, avril 1903 © Bibliothèque de Sorbonne Université</p>

Lucienne Bréval, publié dans Musica n°7, avril 1903 © Bibliothèque de Sorbonne Université

Soprano dramatique, Lucienne Bréval « a réalisé une Carmen curieuse et, au dernier acte, puissamment dramatique. On peut dire qu’elle a transposé le personnage sans le trahir, pour l’élever jusqu’à elle, s’y montrant remarquable même dans l’erreur » (Le Figaro, 25 octobre 1938). Elle chante les rôles d’Iphigénie (Iphigénie en Aulide), Aïda, Brünnhilde, Kundry, Carmen et Valentine (Les Huguenots). Pour composer son personnage, Lucienne Bréval se fie à la prose de Mérimée :

« Lisez la nouvelle de Mérimée : José tue Garcia le Borgne, le premier époux de Carmen, et s’en vante à celle-ci. Elle répond :

Garcia devait te tuer. Ta garde navarraise n’est qu’une bêtise, et il en a mis à l’ombre de plus habiles que toi. C’est que son temps était venu. Le tien viendra.

Plus tard, quand José, au bout du désespoir et de la honte, est décidé à la tuer, elle consentira, pourtant, à le suivre dans la montagne, disant :

« Je te suis à la mort, oui, mais je ne vivrai plus avec toi. »

Nous étions dans une gorge solitaire, j’arrêtai mon cheval. « Est-ce ici ? » dit-elle. Et d’un bond elle fut à terre. Elle ôta sa mantille, la jeta à ses pieds et se tint immobile, un poing sur la hanche, me regardant fixement.

Transposez cette situation dans le cadre où Meilhac et Halévy ont situé la mort de Carmen, et vous avez la même scène, avec un peu de convention en plus. Et cela m’amène à montrer combien est fausse la tradition qui, au théâtre, fait, à cet instant, fuir Carmen devant Don José. Carmen, fuir ? Allons donc. Mais c’est nier le personnage même. Carmen doit conserver devant José l’attitude que lui prête Mérimée dans les lignes citées plus haut… Sinon, elle ne serait plus Carmen. »

(Musica n° 87, décembre 1909, « De l’interprétation de Carmen »)

Marthe Chenal (1911-1928)

	<p>Marthe Chenal dansant la séguedille de Carmen, par Talbot, publié dans <em>Musica </em>n°123, décembre 1912 © Bibliothèque des Arts décoratifs</p>

Marthe Chenal dansant la séguedille de Carmen, par Talbot, publié dans Musica n°123, décembre 1912 © Bibliothèque des Arts décoratifs

Marthe Chenal interprète les rôles de Chrysis (Aphrodite), Tosca, Marguerite, Donna Anna, Senta (Le Vaisseau fantôme) ou encore Elisabeth (Tannhäuser). Grâce à son soprano « étendu et puissant », on lui confie le rôle de Carmen, dont elle donne une version « extrêmement vivante, toute faite de gaieté et de jeunesse » (Comœdia, 28 mai 1912). Elle dit réaliser « la Carmen, être bizarre, intuitif et instinctif » lors du « voluptueux abandon de la séguedille » (Musica n°123, décembre 1912).

 

En 1928, elle est l’une des quatre Carmen qui chanteront dans la matinée du samedi 19 mai, avec Mérentié, Lucie Pérelli et Madeleine Sibille, pour un seul Don José. Jean Bastia ironise à ce propos :

« La fleur que Marthe m’a jetée

Dans ma prison m’était restée.
Dans sa corolle, tout au fond.

Je croyais voir son œil tout rond,

Son regard de flamme, son âme…

Et mon cœur aimait cette femme,

Car elle était selon mon goût…

Et puis voilà que tout à coup,

On me la change… Acte deuxième. » (La Rumeur, 7 mai 1928)

Ninon Vallin (1886-1961)

	<p>Ninon Vallin, photographie de Félix. © Bibliothèque des Arts décoratifs</p>

Ninon Vallin, photographie de Félix. © Bibliothèque des Arts décoratifs

Ninon Vallin débute à l’Opéra-Comique dans le rôle de Micaëla avant de chanter celui de Carmen. Elle chante à la fois Louise, Manon, la Comtesse, Marguerite, Mimì et Mignon, Charlotte et Carmen. Manuel de Falla remarque le « cas vocal unique » (La Volonté, 1 septembre 1928) de Ninon Vallin qui chante à la fois à l’Opéra-Comique La Vie brève (Salud) et L’Amour sorcier.

 

Écouter Ninon Vallin

Conchita Supervía (1895-1936)

	<p>Conchita Supervía, env. 1913, publié dans <em>Mundo Gráfico n°109, 26 novembre 1913 </em>© <em>Wikimedia Commons</em></p>

Conchita Supervía, env. 1913, publié dans Mundo Gráfico n°109, 26 novembre 1913 © Wikimedia Commons

Conchita Supervía chante les rôles rossiniens de mezzo-soprano colorature (Rosina, Isabella, Angelina). Espagnole, elle intègre dans sa Carmen une « couleur locale » (Le Carnet de la semaine, 13 novembre 1932). Elle crée le rôle-titre de Frasquita (Lehár) et chante les Siete canciones populares españolas de Manuel de Falla.

 

Écouter Conchita Supervía

10 novembre 1959, Carmen à l’Opéra de Paris : Jane Rhodes (1929-2011)

Jane Rhodes débute avec les rôles de Tosca et de Marguerite (La Damnation de Faust) puis joue Salomé (R. Strauss) à l’Opéra de Paris et crée à l’Opéra-Comique le rôle d’Isabelle (Les Adieux, Landowsky). Le 10 novembre 1959, Carmen entre au répertoire de l’Opéra de Paris, dans d’autres dimensions que celles de l’Opéra-Comique, dans une mise en scène spectaculaire de Raymond Rouleau et sous la direction de Roberto Benzi, alors âgé de 21 ans, suscitant un débat entre les spectateurs :

La Princesse de Polignac : « J’ai eu l’œil constamment occupé, mais pas les oreilles. »

Marcel Pagnol : « Peut-être trop de mouvement sur le plateau, mais c’est passionnant. »

Louise de Vilmorin : « Moi, je suis contre. J’aimais Carmen quand elle était pauvre, avec deux malheureux soldats et trois pathétiques cigarières. Quand on veut trop enrichir les choses, on leur faire perdre leur équilibre. »

Marguerite Long : « Je connais parfaitement Carmen. Je me sens un peu perdue ce soir, mais c’est très beau. »

(Opinions recueillies dans L’Aurore et dans Le Figaro, 11 novembre 1959)

« Pour la nouvelle « création » à l’Opéra, Raymond Rouleau a conçu une mise en scène particulièrement méticuleuse, qui a nécessité 500 heures de répétitions. Les décors (signés Lila de Nobili) sont plantés depuis quatre mois déjà. Les éclairages révolutionnaires (225 projecteurs, dont certains apportés d’Italie) sont réglés depuis un mois. 8 000 mètres de tissu ont été utilisés dans les ateliers de couture de l’Opéra, pour les 500 costumes. Ceux de Jane Rhodes ont nécessité 93 mètres, tandis que 20 kilos de fil d’or fin étaient employés pour les différentes broderies. » (Journal du dimanche, 8 novembre 1959)