Opéra-comique et Cinéma

À l’occasion de l’arrivée à l’Opéra-Comique de Breaking the Waves, opéra tiré du film de Lars von Trier, explorons les parentés insoupçonnées entre cinéma et opéra-comique.

Publié le 24 mai 2023
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	<p><em>Breaking the Waves | </em>Scottish Opera, 2019<em> </em>© James Glossop</p>

Breaking the Waves | Scottish Opera, 2019 © James Glossop

Breaking the waves est d’abord un film du réalisateur danois Lars von Trier. Sorti en 1996, le film obtient le Grand Prix du Festival de Cannes. Son titre fait référence au destin de Bess « brisant les vagues » et choisissant un autre chemin que celui que la vie semble lui avoir tracé. Le film est célèbre pour sa puissance érotique et dramatique mais aussi pour la liberté d’interprétation qu’il offre au spectateur. L’œuvre est énigmatique et laisse chacun comprendre et caractériser le choix de Bess.

Parce que ce film le bouleverse depuis l’âge de 14 ans, l’homme de théâtre Royce Vavrek décide un jour d’en faire un opéra dont il rédige le livret. Il propose à la compositrice Missy Mazzoli de le rejoindre dans cette aventure. Dans un premier temps, cette dernière hésite : elle craint de compromettre ce film si exceptionnel. L’idée fait cependant son chemin et elle finit par accepter. Ensemble, Royce Vavrek et Missy Mazzoli s’interrogent sur les intentions de Bess, de Jan. Ils se rendent tous deux en Ecosse sur l’Île de Skye et se laissent bercer par les paysages sauvages, l’accent de ses habitants… Un paysage sonore se dessine.

À son retour, Missy Mazzoli choisit de retranscrire la puissance de cette île dans sa musique. Elle décide également de rester fidèle au film en conservant toute l’ambiguïté du personnage de Bess. L’opéra voit le jour sur la scène de l’Opéra de Philadelphie en septembre 2016 et reçoit l’International Opera Award pour la meilleure création l’année suivante.

	<p><em>Breaking the Waves | </em>Scottish Opera, 2019<em> </em>© James Glossop</p>

Breaking the Waves | Scottish Opera, 2019 © James Glossop

Découvrez le dossier Opéra-Comique et Cinéma, signé par Dina Ioualalen et Guillaume Picard

Les liens entre opéra et cinéma ont souvent été étudiés, par la recherche contemporaine et par les artistes et théoriciens du XXe siècle. Il est courant de souligner la dette que le cinéma, dès sa naissance, aurait contractée envers l’opéra, son prédécesseur (et future victime) en matière de divertissement populaire. La matrice wagnérienne du concept d’ « œuvre d’art totale » (Gesamtkunstwerk) permettrait de comprendre, naturellement, ce qui unit ces deux arts qui racontent une histoire en recourant à tous les matériaux artistiques. Cette vision, pour être pertinente, n’en est pas moins partielle historiquement : le cinéma naît comme un art muet, qui capte d’abord de simples scènes quotidiennes, bien loin des ambitions du maître de l’opéra allemand. Tout ce qui fait l’opéra – le chant, l’alternance réglée entre récitatifs, airs, chœurs, ensemble et pièces musicales – disparaît au cinéma. Tout ce que le chant exprime et raconte, le cinéma ne peut le montrer que théâtralement. C’est pourquoi la relation entre le cinéma et l’opéra, particulièrement dans un contexte français, doit être pensée à travers un troisième terme, qui met en jeu les catégories du théâtre dialogué et du mime : l’opéra-comique. Par ses origines foraines, l’opéra-comique ne se contente pas de mêler déclamations lyrique et dramatique : il exige le jeu. C’est à travers l’opéra-comique que le cinéma en est vraiment venu, dans un second temps, à se rapprocher de l’opéra.

En 1931, un article paraît dans Pour vous, qui s’interroge sur la nécessité d’ouvrir une classe de cinéma au Conservatoire. Il s’agit de savoir si le cinéma est devenu un genre assez distinct du théâtre et de l’opéra pour l’enseigner à part. Le directeur des chœurs de l’Opéra et professeur de déclamation lyrique, M. Chéraud, observe : « Le théâtre peut gagner encore par l’abandon de ses gestes conventionnels, dont le cinéma a, au moins, renouvelé le stock. Jusqu’ici, le cinéma français n’a donné des perfections que dans le genre gai : c’est de l’opérette plus que de l’opéra. » (Pour vous, 3 décembre 1931) Cela nous apprend deux choses : le cinéma, en 1931, passe pour avoir épuré l’interprétation théâtrale, et a donc développé ses propres techniques d’expression artistique ; ce jeu nouveau n’est rapproché ni du théâtre ni de l’opéra, mais de l’opérette, genre gai et populaire.

	<p>Le théâtre de la foire [détail], gravure de Bernard Picart, 1730 © Gallica-BnF</p>

Le théâtre de la foire [détail], gravure de Bernard Picart, 1730 © Gallica-BnF

Sans assimiler opéra-comique et opérette, on voit bien en quoi la prise en compte du parlé-chanté cher à la salle Favart peut servir de chaînon manquant entre le cinéma d’une part, et la déclamation (lyrique ou tragique) d’autre part. Ce que le cinéma français a capté dans l’opéra-comique, c’est un art moins déclamatoire que quotidien, moins tragique qu’émouvant.

Breaking the waves

Missy Mazzoli et Royce Vavrek

28 au 31 mai 2023

Inspiré du film primé à Cannes de Lars Von Trier, cet opéra de Missy Mazzoli et Royce Vavrek a reçu en 2017 l’international Opera award pour la meilleure création. Une distribution hors pair sert cette œuvre d’une densité exceptionnelle, où la foi et l’amour entraînent l’héroïne dans un sacrifice à contre-courant de la morale commune.

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