Charles Lecocq (1832-1918)

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« Je ne suis qu’un tout petit coq avec une toute petite voix, et si j’ai contribué à la gaîté de la France, c’est bien peu ! Mais enfin, c’est toujours pour moi une satisfaction d’avoir pu égayer un temps mes contemporains, il y en a assez d’autres qui les ennuient.»

Lecocq à Saint-Saëns, lettre du 9 janvier 1893

	<p>Charles Lecocq photographié par Pierre Petit vers 1870</p>

Charles Lecocq photographié par Pierre Petit vers 1870

Charles Lecocq naît le 3 juin 1832 à Paris dans une famille modeste. Atteint d’une tuberculose coxo-fémorale, il ne marchera toute sa vie qu’à l’aide de béquilles. Le flageolet devient son instrument de prédilection. Un professeur de musique convainc ses parents d’investir dans un piano. À 16 ans, le garçon donne des cours particuliers pour se payer des leçons d’harmonie qui lui permettent d’entrer au Conservatoire en 1849.

Dans l’établissement dirigé par Auber, Lecocq étudie l’harmonie avec Bazin, l’orgue avec Benoît, et la composition avec Halévy, auteur de La Juive, père du librettiste de Carmen et futur beau-père de Georges Bizet, camarade de Lecocq avec Camille Saint-Saëns. Ses prix en orgue et en contrepoint ne donnent pas de hautes ambitions à Lecocq qui préfère, à une carrière officielle nécessitant l’obtention du prix de Rome, soutenir sa famille en travaillant comme pianiste-accompagnateur. Il quitte le Conservatoire en 1854.

Inventée par Hervé, l’opérette remporte en 1855 ses premiers succès aux Bouffes-Parisiens fondés par Offenbach. Son humour répond aux attentes du public parisien ; le pouvoir impérial regarde l’entreprise d’un œil favorable. En 1856, Offenbach organise pour les jeunes compositeurs un concours d’opérette sur un livret signé Ludovic Halévy et Léon Battu : Le Docteur Miracle. Parmi les 78 candidats, Lecocq et Bizet l’emportent ex aequo, ce qui leur permet d’être joués aux Bouffes. Lecocq passe en premier, en avril 1857, et connaît 11 représentations. Halévy ne daigne pas venir et Lecocq s’est fâché avec Offenbach. Mais les échanges avec Bizet sont fructueux et Lecocq sait désormais qu’il est fait pour la scène. Saint-Saëns racontera : « Lorsque nous étions ensemble au Conservatoire, il écrivait des choses ravissantes, et si l’accès des théâtres sérieux n’avait pas été si difficile, il aurait fait tout autre chose que ce qu’il a laissé. Forcé de gagner sa vie avec sa plume, il s’est adonné au genre où il trouvait de l’emploi ».

Pendant onze ans, Lecocq produit d’obscurs titres en un acte pour divers théâtres. Lorsque l’auteur de boulevard William Busnach prend la direction de l’Athénée, il engage Lecocq comme chef de chant : « Dans ce modeste accompagnateur, passant avec résignation ses après-midi au piano pour seriner leurs rôles à des acteurs plus ou moins doués, qui aurait deviné le futur rival du grand maître Jacques Offenbach ? » (Vanloo)

Busnach commande à Lecocq la musique de L’Amour et son carquois qui met en confiance le fameux tandem Chivot et Duru, lesquels lui confient Fleur-de-Thé. Surfant sur la vogue japonisante, la création d’avril 1868 est un succès : l’œuvre sera reprise, jouée en province puis à l’étranger. Suivent sur différentes scènes Les Jumeaux de Bergame et Le Carnaval d’un merle blanc en 1868, Gandolfo et Le Rajah de Mysore en 1869, Le Beau Dunois en 1870.

Sur ce éclate la guerre franco-prussienne de 1870, suivie de la Commune. Lecocq doute : « Je me figure qu’après la guerre les goûts seront sensiblement modifiés, et que peut-être les obus prussiens auront tué l’opérette ». Il sollicite Humbert, le directeur des Fantaisies-Parisiennes à Bruxelles, ville où ses œuvres ont déjà remporté des succès. Il reçoit la commande d’une grande opérette, Les Cent Vierges, que Duru et Clairville acceptent de lui écrire.

Après avoir donné aux Bouffes en 1871 Le Testament de M. Crac, Le Barbier de Trouville et Sauvons la caisse, Lecocq s’installe à Bruxelles. La brillante création des Cent vierges le 16 mars 1872 inaugure sa carrière européenne. Nouveau triomphe en décembre 1872 avec La Fille de Madame Angot, suivi d’énormes succès à Paris puis en France et en Europe. Nouvel éclat en 1874 avec un autre fameux tandem, Leterrier et Vanloo : leur Giroflé-Girofla bruxelloise est reprise par la Renaissance à Paris, puis exporté au Karl-Theater de Vienne. À Paris, il s’agit de la première création de Jeanne Granier, sacrée divette du boulevard. De Vienne, Lecocq envoie à son éditeur parisien des Miettes musicales pour piano qu’il signe Georges Stern. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut publier de la musique sérieuse.

On le considère maintenant comme le digne héritier d’Offenbach. Désormais, Paris accueille ses créations : elles se succèdent aux Variétés, à la Renaissance, aux Folies-Dramatiques et aux Nouveautés. Elles sont quasiment toutes qualifiées d’opéras-comiques ou d’opéras-bouffes. Paraissent ainsi en 1874 Les Prés Saint-Gervais, Le Pompon et La Petite Mariée, en 1876 Kosiki, en 1877 La Marjolaine.

En 1878, Le Petit Duc, sur un livret de Meilhac et Halévy, remporte un triomphe à la Renaissance en pleine Exposition universelle : 300 représentations d’affilée ! Avec son rôle-titre travesti créé par la fidèle Granier, l’histoire se passe sous Louis XIV. Lecocq se montre inspiré par l’Ancien Régime, lui qui a publié l’année précédente une réduction pour piano et chant de Castor et Pollux de Rameau.

Les créations suivantes ont moins de succès – moins de 100 représentations –, ce que Lecocq met sur le compte des livrets : en 1878 La Camargo, en 1879 Le Grand Casimir (intitulée opérette), La Petite Mademoiselle et La Jolie Persane, avec Jane Hading. Après quoi Lecocq connaît dix-huit mois de maladie et de chagrins domestiques.

En 1881 sont créés Janot puis Le Jour et la Nuit, avec Marguerite Ugalde ; en 1882 Le Cœur et la Main ; en 1883 La Princesse des Canaries. Le succès est irrégulier car Lecocq ne change plus sa formule. Devant les jeunes compositeurs qui relèvent le défi de l’opérette, il critique : « il y a là-dedans trop de talent et pas assez d’imagination ». En 1884 L’Oiseau bleu ne réussit pas, en 1885 La Vie mondaine non plus.

Lecocq vise l’Opéra-Comique. Il compose Plutus, d’après Aristophane adapté par Millaud et Jollivet. « J’écrivis ma partition avec un vrai plaisir, dans la joie de penser que je serais enfin joué à l’Opéra-Comique, avec de vrais chanteurs [dont Lucien Fugère] et un excellent orchestre ». L’œuvre manque de gaité et de sentimentalité : elle n’est jouée que 8 fois.

Suivent deux fours aux Bouffes – Les Grenadiers de Mont-Cornette en 1887 – et aux Nouveautés – La Volière en 1888. Le 11 novembre 1887, Lecocq connaît avec Ali Baba son dernier grand succès, auprès du chaleureux public bruxellois.

Les reprises plus que les commandes maintiennent son renom. Lecocq reprend donc ses partitions, y note ses critiques (souvent sévères), et publie une série d’articles intitulés Mes Cauchemars dans La Gazette parisienne entre 1895 et 1897 : il y dénonce la négligence des librettistes, l’opportunisme des directeurs, la superficialité du public, mais y loue ses interprètes.

En 1896 les Bouffes créent Ninette dont le héros, Cyrano, annonce le chef-d’œuvre de Rostand. En 1898, l’Olympia crée son ballet-pantomime Barbe-bleue ; en 1899, l’Opéra-Comique son ballet Le Cygne. En 1900, Lecocq est reçu chevalier de la Légion d’honneur tandis que sa dernière opérette, La Belle au bois dormant, échoue aux Bouffes. Suivent quelques actes dans des casinos de villes balnéaires et l’opéra-comique Yetta à Bruxelles en 1903.

Après plusieurs annonces de décès publiées dans la presse – qui égaient sa vieillesse ! – Lecocq meurt à 86 ans le 24 octobre 1918 à Paris. Il est enterré au Père-Lachaise. Deux mois plus tard se réalise son rêve : le triomphe de La Fille de Madame Angot à l’Opéra-Comique.

Outre ses 50 ouvrages scéniques, il laisse quatre volumes de pièces pour piano, dont des mazurkas dédiées à Bizet, et une centaine de mélodies, dont quatre sur des fables de La Fontaine.

« La caractéristique de Lecocq qui fit son très grand succès, c’est que commençant à travailler pour le théâtre au moment où les folles élucubrations d’Hervé et les bouffonneries échevelées d’Offenbach étaient en pleine vogue, il sembla réagir contre elles. Possédant un talent moins primesautier mais plus délicat, avec une meilleure instruction musicale, il écrivit des ouvrages d’une inspiration plus aimable, d’une facture plus délicate en même temps que plus solide. Les meilleurs de ses ouvrages sont en réalité de charmants opéras-comiques.

Contraint de travailler pour d’autres théâtres que l’Opéra-Comique, il aura conquis une renommée supérieure à celle qu’auraient pu lui acquérir, salle Favart, des ouvrages qui eussent été plus rares, car pas répandus sur trois ou quatre scènes rivales. C’est pourtant là qu’il avait sa place et ce fut pour lui un chagrin durable que de ne pas parvenir à l’occuper ; car le goût très vif qu’il avait pour les maîtres de l’ancien opéra-comique, le soin qu’il prenait, comme eux, de bien approprier sa musique à la parole, et jusqu’à la qualité de sa veine mélodique, qui aurait pu parfois être plus originale, mais qui était toujours très scénique, prouvent qu’il était bien de leur lignée. »

Journal des débats, Adolphe Jullien, 25 janvier 1919

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