Du bruit, des sons et de la musique

Publié le 3 juin 2016
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Photo © Stefan Brion
 

C’était ce 2 juin. La veille, les ouvriers avaient commencé le démontage du gigantesque échafaudage dont on vous a souvent parlé et qui a rempli la totalité de la salle du parterre au plafond. Il y avait là au foyer, c’est-à-dire au niveau de la corbeille, la remise du prix Fedora, un prix qui récompense chaque année une production innovante à l’échelle du Vieux Continent. 

 

Il faut savoir que le foyer n’appartient pas à la liste des travaux et qu’il est isolé du reste de l’établissement par une palissade étanche flanquée d’une porte. Apparaissait un nouvel élément dont on ne vous a jamais parlé depuis que l’Opéra Comique vous raconte l’histoire de sa rénovation : le bruit.
Au foyer donc en cet après-midi sombre et pluvieuse, forcément sans micro et sans lumière compte tenu des circonstances,  les voix de ceux qui remettaient le prix succédaient  aux remerciements de ceux qui le recevaient. La trentaine de personnes présentes, pour l’essentiel des journalistes, devaient tendre l’oreille.  Dehors, le vrombissement  des marteaux piqueurs, le cliquetis des panneaux qu’on démonte  parvenaient distinctement ; au près, les sons si particuliers de la pelle quand elle tranche et retourne le sable mêlé de ciment ou le ruban adhésif qui s’arrache et libère les énormes protections  qui couvrent les colonnes de marbre couvraient les discours. Le bruit laissait découvrir une nouvelle façon de regarder le chantier, non plus en se concentrant sur les éléments visibles, les tubes, les coffres, les outils, la poussière mais sur l’immatériel de cette rénovation, le son.  On se souvient de la définition pour le moins tendancieuse de Victor Hugo : «  la musique c’est du bruit qui pense ».  La pollution du bruit du dehors avec les paroles du foyer amenaient à s’interroger sur ce qui se faisait entendre et la sensation qui en résultait.

 

Nous avions l’habitude de la musique mais que pouvait bien signifier l’envahissement de l’espace par ces intrus bizarres?

 

Leur présence était telle qu’on pouvait s’interroger sur le point de savoir si un chantier se faisait et se défaisait par le bruit pour le plus grand bonheur des professionnels du bâtiment, de la même manière que la musique arrangeait sons et silence sur un temps donné pour ravir le cœur des mélomanes. Peut-être même que c’était par  le bruit que se mesurait le temps du chantier. Par exemple, l’immense cathédrale de tubulure qui a envahi la salle Favart et dont on vient de parler a été montée en cinq semaines.  Il n’en faudra que trois pour tout enlever. Le volume sonore comparé de ces deux phases, un bruit « normal » au démontage, un tintamarre assourdissant à l’évacuation,  expliquait-t-il à lui seul l’écart conséquent entre les deux durées? Peut-être aussi que c’était  par lui que se mesurait l’efficacité sur le long terme des actions entreprises ?

 

Il fallait se promener.  Salle Bizet, tiens, et regarder les marbres traités et ceux qui ne le sont pas encore. On parlerait de la même façon des dorures. Là, les colonnes qui ont été recouvertes d’une sorte de peau en silicone qui a agi en silence pour rendre tout son éclat à la pierre. Là-bas, celles qui attendent d’être recouvertes et portent les marques du temps. La différence est impressionnante et il n’est pas usurpé de prétendre que les spectateurs de 2017, ceux qui reviendront écouter les présentations d’avant-spectacle ne reconnaitront plus ce lieux jadis familier. C’est dans le silence que la propreté se réinstallait, de la même manière que la concentration extrême des ouvriers qui au pinceau et à la feuille d’or redonnent du lustre aux détails des bas-reliefs du cadre de scène ne tolérait aucune interférence. Mille bruits d’un côté, témoignages des hommes au labeur, mais de l’autre, le calme, la tranquillité, un certain mutisme de la matière et du doigté dans une action concertée et diablement performante. Et si la règle des chantiers dans les maisons d’opéra s’écrivait ainsi : plus le silence se fait et plus l’embellissement  s’installe ?  

 

On en était là de nos réflexions quand, descendant les marches qui mènent au hall d’entrée, des ouvriers casqués enfermaient Manon et Carmen sous les mêmes tubes qui s’évacuaient dans la salle. Chacun son tour. Et à chaque partie du théâtre ses outrages. C’était aussi à ce genre de transferts que l’on pouvait prendre la mesure de l’état d’avancée des travaux. Pour l’instant tout allait bien. Les délais étaient tenus.  Carmen et Manon seront un jour libérées. Il fera grand soleil. Ce sera l’été. Et puis la musique, un jour, reprendra sa vraie place et le bruit refluera. Reviendra le temps lyrique de la réouverture.

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